samedi 25 juillet 2009

La 35

(Je l'avoue, je triche pour ce post où je reprends un vieux texte écrit Facebook qui fut lui-même repris d'un texte écrit pour un projet de fin de session en français au cégep. Probablement le texte que j'ai le plus édité, coupé, censuré, retravaillé. Et encore là, je suis consciente qu'il est encore trop long, que le message est écrasé par trop de texte, que quelques lignes ont souvent beaucoup plus d'impact qu'une brique. Mais, au bout du compte, ce n'est que l'essentiel qui y est.)

Souvent, lorsque Vallières joue Le Repère Tranquille le matin, en direction du cégep, c’est brumeux dehors, un peu comme dans mes yeux. C’est dans ces moments-là que je pense à des séquences d’images que j’aurai inventées et réinventées mille deux cent fois avec lui la nuit, avant de m’endormir. Il pourrait n’y avoir que nous deux dans les dunes de sable du Sahara, nous deux baignant dans la Méditerranée ou bien tout simplement nous deux gisant morts dans le fossé sur le bord de la 104, peu importe, ce serait du pareil au même parce qu’il serait là.

Ça peut être celui qui nous tient timidement la main, du haut de nos quatorze ans, à qui on dit en pleine détresse "Je t'aime", comme si notre vie en dépendait, un soir d'été sur la rive du St-Laurent. Ou bien sinon le maladroit, le premier copain officiel qu'on présente si fièrement aux parents. Ça peut aussi être celui à qui on ose malgré tout s'abandonner pour croire un instant qu'on est aimée, avant de réaliser que n'importe quelle autre paire de jambes aurait pu très bien faire l'affaire.Ça peut être le gars inconnu et mystérieux, à qui on réserve notre regard le plus ravageur sans même le connaître. Un autre pour qui on rajoute ce petit quelque chose de plus quand on prévoit le croiser, comme s’il allait subitement remarquer notre existence. Ou, sinon, celui qui n'ose pas et ce, même si cette lumière, ce début d'on ne sait trop quoi encore, se lit si clairement dans ses yeux. Ce même gars qui semble passer sa vie à attendre une fille qui fait semblant de ne jamais l’avoir remarqué.

Un gars avec qui on danse sans se soucier du lendemain. Lendemain qui, tout compte fait, n'est pas si reluisant. Un autre gars qui embrasse maladroitement, si ce n’est celui qui le fait si doucement qu'on retient notre passion de toutes nos forces, de peur de consumer cette magie qui nous réchauffe les entrailles, qui nous serre la gorge trop vite. Le gars qui ose, qui surprend, à un tel point qu'on ne réalise que vaguement qu'il est sauvagement en train de nous mettre à nue, au sens propre et figuré. Un autre qui, au contraire, a peur face à notre audace, qui court dans la direction opposée comme si sa vie en dépendait.Un gars qui ment, qui cache, qui ne parle pas, comme s’il fallait deviner.

Un gars qui n'assume pas, qui met tout le tort sur l'impulsivité, l'émotivité, la vulnérabilité d'une fille. Un gars qui est tout proche, qu'on considérait autrefois comme bien plus, qui n’est maintenant plus qu'une porte toujours close quand je reviens le soir de l'université, qu'un murmure de voix occupé au téléphone.

De temps à autres, quand l’un d’eux daigne lever les yeux vers moi, j’ai le cafard devant le fait accompli et je finis par courir le plus loin possible tellement j’ai peur de lui, de moi, de n’importe quoi. Il me reproche d’aimer trop comme parfois ça ne lui est pas suffisant. Il peut déplorer mon orgueil démesuré alors que le sien n’est souvent guère mieux. Mais lui c’est un homme, ce n’est pas pareil, qu’on me dit. Il m’est arrivé de lui dire « Je t’aime » en essayant tant bien que mal de le croire vraiment, mais je dois avouer que, plusieurs fois, j’ai menti malgré moi.

Devant plusieurs d’entres eux, les larmes ont coulé, les cris ont aussi ragé, la Terre a bien pu s’arrêter quelques milliers de fois et j’ai connu plusieurs fins du monde auxquelles j’ai tout compte fait survécu. Quelque fois, une grande minorité de temps, j’ai réussi à sourire, à me faire croire, ne serait-ce qu’une seconde, que j’étais bien en leur présence et que je méritais ce bout de bonheur que j’étais en train de vivre.

J’ai ouvert mon cœur, d’autres fois mes jambes, sans rien attendre en retour et c’est souvent ce que j’ai eu. Peu importe. Vallières gratte les derniers accords, la sortie de la 35 est tout juste sous mes yeux, j’actionne le clignotant et la vie continue.

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